par Kiki

Dans la série :

Je suis maso et je me fais du mal c’est fou

faut que j’arrête mais j’y arrive pas

je suis allée lire les commentaires d’internautes à la suite des articles qui concernent l’assistance sociale qui cafte. C’est là qu’on mesure à quel point les mots ont de l’importance, puisque certains établissent une différence de taille entre « délation » (cacabeurk) et « dénonciation » (acte de citoyenneté). Evidemment, selon les sensibilités, l’acte de cette assistance sociale est l’un ou l’autre.

Ceux qui s’indignent et utilisent le mot « délation » sont qualifiés de Droitsdel’hommistes (insulte suprême. Comment peut-on seulement trouver accorte et sympathique un truc aussi écoeurant que Les Droits de l’Homme, hein ? hein ?). L’argument massue pour contrer un Droitsdel’hommiste est « Prenez-les donc chez vous, tous ces clandestins avinés dépravés hirsutes feignasses malpropres qui mangent notre bon pain français, que c’est nous qu’on paye pour ! Ah, là on fait moins les marioles, hein ???! ».

Cet argument mille fois entendu m’a toujours mise mal à l’aise, genre je regarde mes pieds, que répondre, quoi rétorquer, c’est pas le propos espèce de xénophobe mesquin étriqué… Et je me suis souvent demandé pourquoi je ressentais cette gêne en l’entendant, cet inconfort et cet abattement.

J’ai compris ce matin (bé oui, je ne suis pas rapide, on m’appelle TortueGirl, j’ai un costume avec une carapace à paillettes d’ailleurs…

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mais ça n’a rien à voir).

Cet argument me met mal à l’aise parce qu’il ne s’adresse pas à moi en tant qu’ « être civilisé ». Il s’adresse à mon cerveau reptilien, à ma part d’animal, de non-social, ma part primitive qui ne supporte pas Tante Mauricette à table quand elle mange la bouche ouverte en postillonnant sur mon bras.

Personne ne doit personnellement prendre en charge chez lui dans son salon entre la plante verte et le bocal de Youyou le poisson rouge un individu posant problème à la société. Parce que justement, la Société Sociale Civilisée Non Animale doit mettre en place des réponses Collectives aux problèmes et proposer des prises en charges Collectives et déléguer la mise en place de ses décisions à travers des personnes dont c’est le métier, compétentes, formées pour, etc…

Bref, forte de cette nouvelle compréhension de mon fonctionnement (parce que j’ai paumé la notice faut dire), j’ai cliqué de ci de là et suis arrivée sur cette page de Brice Hortefeux himself. Je sais, ce n’était pas très raisonnable. Mais bon, on est toujours dans la Série :

Je suis maso et je me fais du mal c’est fou

faut que j’arrête mais j’y arrive pas

Je n’ai pas tout lu en détails à cause du lait sur le feu, mais deux choses m’ont quand même déconcertée :

 

Je cite :

« (…)J’ai ainsi en tête un cas précis qui résume parfaitement cette volonté d’équilibre, de fermeté et de justice : c’est celui de ce jeune étudiant ivoirien, séjournant en France sans autorisation et sans papiers. Il a été reconduit en mai dernier chez lui. Mais l’éloignement ne signifie pas bannissement. Il est juste de quitter le territoire quand on ne respecte pas ses règles. Il doit être possible de revenir lorsqu’on les respecte.

Ce jeune étudiant, que j’ai appelé au téléphone, a ainsi été autorisé à revenir en France afin d’y poursuivre son BTS d’informatique commencé après son baccalauréat.

La loi est ainsi appliquée et l’accueil concrètement respecté. »

Magnifique résultat. Aucune perte de temps avec cet aller-retour. Se rendre compte tout de suite que ce jeune homme n’était pas une brute sanguinaire avinée désireuse de mettre à bas et de fouler au pied le socle deux fois millénaire de notre civilisation était en option, on s’en doute. Voilà donc un jeune étudiant qui a pris l’avion dans un sens puis dans l’autre pour que dalle. Oui, ça a pollué pour rien. Mais c’est pas comme si on avait fait un Grenelle de l’Environnement.

 

« (…)Troisième priorité : mieux protéger l’Europe en améliorant l’efficacité des contrôles aux frontières. Cela passe par trois choses : un recours volontariste aux technologies modernes comme la biométrie ; des objectifs plus ambitieux pour l’agence Frontex, qui reste embryonnaire ; et une plus grande coopération entre les États membres et les États limitrophes. J’ajoute que les États européens les plus exposés doivent pouvoir compter sur une solidarité de leurs partenaires dans la lutte contre l’immigration illégale. »

 

Le mot important ici est « biométrie« . Parce que bêtement, moi je pensais que les contrôles aux frontières et l’obtention de papiers en règle était purement administrative, dossiers, certificats, feuilles dactylographiées format A4 avec ou sans trombone, avec ou sans tampon du ministère du truc ou du préfet du coin, signées, paraphées, précédées de la mention lu et approuvé le tant à remplir en quatre exemplaires.

Mais pas du tout. Grâce au mot « biométrie ». C’est épatant de savoir que des tonnes de papiers seront obsolètes (c’est bon pour l’Environnement) : un clandestin qui immigre se repère à la frontière grâce à ses empreintes digitales, son iris, les réseaux veineux de sa rétine, la forme de sa main, ainsi que les traits de son visage.

Après, dans la Série « J’ai besoin de mots » j’ai pensé à « beaaaarhk ! », mais ce n’est pas un mot. C’est plutôt une réaction épidermique, une réaction de mon cerveau tout entier, avec ses deux hémisphères, le reptilien et le civilisé ensemble qui entonnaient en choeur cette unique réaction dévastée.

Et après, je me suis souvenue d’avoir lu des témoignages de gens qui doivent pas correspondre aux critères biométriques de l’époque. J’ai lu et j’ai été triste. Pas seulement pour eux. Pour moi aussi. Pour nous tous en fait. C’est bête que les pouvoirs de TortueGirl soient si minces.

Kiki