La présence de Le Pen dans la politique française remonte à la guerre d’Algérie, mais son véritable poids date des années 80. Autant dire que, né en 1968, j’ai toujours connu des scrutins marqués par le FN.

Il y eut d’abord un mouvement d’indignation très bigarré, dont l’emblème le plus visible était la petite main diversement colorée « Touche pas à mon pote », que certains jugeaient aussi agressive que sa réplique frontiste « Touche pas à ma France ».

En cette fin des années 80, Le Pen tournait entre 10 et 15 %. Des foules descendaient dans les rues pour s’opposer à ses thèses. Les dérapages se succédaient, « Chambre à gaz = détail », « Durrafour crématoire », « fier d’avoir torturé », etcaetera.

Longtemps, j’ai refusé de dialoguer avec les électeurs du FN, que je qualifiais en bloc de fascistes. Comme son dirigeant. Je n’ai jamais changé d’avis sur le chef. Ceux qui connaissent un tant soit peu l’histoire ont pu remarquer que Le Pen emprunte à tous les leaders totalitaires du 20e siècle un petit ou un grand quelque chose.

Mais concernant son électorat, j’ai ensuite pensé que c’étaient des paumés, des gens simples et abusés, des sortes de victimes. Quand on a vécu dans un bastion rouge comme le Pas de Calais et qu’on a vu, dans des municipalités communistes depuis 1945, le FN passer la barre des 60 %, on se pose des questions.

Pas toutes résolues, loin de là.

Mais j’ai quelques certitudes aujourd’hui, renforcées par le passage du n°1 de l’extrême-droite à France Inter ce matin.

D’abord, le message de Le Pen ne s’adresse jamais au raisonnement, à la logique ou à la déduction, autrement dit jamais à l’intelligence, même sous une forme embryonnaire. Immigration, salaires, medias, animaux domestiques (oui, c’était un thème itératif ce matin), tout le discours développé par Le Pen a comme but unique d’emporter l’adhésion immédiate, ou le rejet immédiat. Aux questions de bon sens avancées par un courageux Nicolas Demorand, Le Pen ne répondit pas un seul argument construit, mais ses vérités établies en Vulgate : on vous ment, manipulateurs, bande des 3 (candidats qui monopolisent l’attention), je n’ai pas mes signatures. Sur ce dernier point, je m’étonne qu’il n’y ait pas plus d’analystes pour démontrer l’imposture, destinée à apitoyer l’opinion.

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On s’est habitué à la présence de cet homme. Son âge semble même tiédir les réactions. Pas celle de Guy Carlier. Tant de fois j’ai pesté contre cet humoriste qui, souvent, gâche son talent à tirer sur des cibles médiatiques sans intérêt. Parfois cependant, comme ce matin, il est excellent. Grave et précis, il est allé au charbon contre le Pen, frontalement si j’ose dire, comme on ne le fait plus. Merci.

Faut-il attendre un second 2002 pour décréter la mobilisation générale contre la peste ? Que cela convainque ou non ses électeurs, peu importe, il faut résister à Le Pen, partout, toujours. Il ne faut plus le laisser dire sans s’indigner, il faut des manifestations, des pétitions, des condamnations. Il faut que la démocratie rejette le FN avec ses armes, qui ne se réduise pas aux urnes, car le FN, comme ses prédécesseurs historiques, ne conçoit la démocratie que comme la faiblesse congénitale de sociétés sur lesquelles il entend régner un jour. Le combat anti Front National est donc, simplement, un impératif moral.

RV

PS : n’oubliez pas d’écouter Desproges sur le même sujet, en haut à droite.